mardi 6 mai 2008

Interviewé par Euskobizia, mars 2008

Lors d'une séance de dédicace au magasin
des produits régionaux, à Mauléon en 2008.
Euskobizia : Pourquoi ce livre et pourquoi un livre ?
Etienne H. BOYER : Au départ, j’ai eu besoin de revenir sur cette histoire véridique qui me hantait depuis presque 10 ans. J’ai pondu la trame du texte en quelques jours. C’est sorti tout seul, tel un jet de sang en saccade, comme lorsqu’on s’ouvre une artère. J’ai décidé de le publier tel quel, en trois épisodes sur mon blog. Mais au fil du temps qui passe, j’ai senti qu’il manquait des choses, que le récit pouvait être amélioré par des détails croustillants, des descriptions de paysages, de mœurs du berger, et de clins d’oeils qui n’ont aucun rapport avec la profession, mais plus avec mon éducation, ma « culture générale » issue des années 70-80.
Mais il me manquait encore quelque chose, pour exorciser tout ça de manière définitive. Le Net, c’est bien, mais ça reste quand même paradoxalement très confidentiel. Je me suis dit que je pourrais faire partager cette expérience à plus de monde en le faisant sortir du virtuel. Alors j’ai décidé d’en faire un bouquin, avec des dessins et des photos. Laurent Caudine (éditions Astobelarra – Le Grand Chardon) a flashé sur le concept, et m’a proposé de l’éditer. Et voilà !

Euskobizia : Pourquoi ce titre ? Est-ce une boutade ? Y avait-il d’autres titres qui t’étaient venus à l’idée?
EHB : Je n’avais pas de titre prévu. Celui-ci s’est imposé à moi, comme une Lapalissade : je ne suis pas un bon berger. Donc si je ne suis pas un bon berger, c’est que je suis un « Mauvais berger ! » CQFD ! (Je t’accorde que j’aurais pu tout aussi bien l’appeler “l’exorcisme”, mais on m’aurait classé dans les livres ésotériques…)
Un bon berger est capable de travailler 16 heures par jour (pendant des mois) sans se plaindre, et dans des conditions parfois extrêmes. Un bon berger aime son job, les bons comme les mauvais côtés, et le fait consciencieusement en se fiant à la science, à son expérience et à son intuition. Ce n’est pas mon cas. Moi, je suis plutôt du genre à supporter difficilement de travailler 35 heures par semaines, alors tu vois… Et quand je dis « travailler », c’est au sens « tripalium » du terme (c’est à dire, « aller à la torture pour ramener de quoi manger à la maison ») !
On peut ne pas aimer travailler et se rendre utile à la société. Ecrire, dessiner… Ce n’est pas vraiment un « travail ». C’est plus une occupation, mais c’est surtout un vrai plaisir pour moi. Et si ça plait (ou déplait) aux gens, alors c’est utile ! Fin de la digression…
Pour en revenir au « Mauvais Berger ! », c’est aussi parce que c’est l’impression que j’avais de moi même à l’époque des faits.

Euskobizia : Ce livre sonne comme un règlement de compte, est-ce vrai ? Qu’est-il en plus ?
EHB : En réalité, c’est un exutoire, un récit catharsique. Je l’ai écrit pour être en paix avec moi même, parce que je n’arrivais pas à sortir d’un certain marasme psychologique dans lequel je pataugeais depuis 1999, et qui me pourrissait la vie au quotidien. Il fallait que je pose des mots sur cette expérience douloureuse, que je considère un peu comme une petite mort (au sens propre du terme). En gros, je devais faire mon deuil de cet échec professionnel!
Alors bien sûr, je ne suis pas tendre avec les protagonistes de l’histoire, mais avoue qu’ils l’ont bien mérité, non ? Je ne fais que leur rendre (avec beaucoup de retard) la monnaie de leur pièce. D’où le proverbe détourné « Poignez vilain, il vous poindra ! »
Je règle aussi des comptes avec le patronat agricole, et par extension, avec le patronat tout court, respectable et intouchable, prêt à toutes les exactions pour faire du profit sur le dos de ses salariés.
Lorsque j’étais enfant, j’avais une prof de français qui était une pure abomination. Physiquement, et moralement. J’aurais pu écrire un livre rien que sur elle, tellement elle était… Atypique ! C’était une vieille garce arrogante, frustrée et mauvaise comme la gale, qui me disait « vous êtes un nul, et vous resterez nul toute votre vie »… Très similaire au personnage principal du livre, finalement… Si bien que je rentrais du collège complètement découragé. Mais mon père, ce grand sage, avait trouvé la parade pour me remonter le moral. Il me disait : « t’as qu’à l’imaginer constipée, en train de pousser au toilettes… Tu verras, ça casse le mythe ! »
« Mauvais berger ! » tient un peu ce rôle là : rentrer dans le lard des conventions, de l’abus d’autorité, des traditions, des profiteurs (ceux que j’appelle vulgairement des « baiseurs d’innocents »), et de la haine ordinaire.

Euskobizia : Pourquoi avoir attendu 10 ans pour se « débarrasser » de ce poids ?
EHB : En fait, je ne sais pas… ça devait mûrir au fond de moi, sans que je m’en rende compte, un peu comme un vieux furoncle entre chair et peau. Et puis un jour où ça faisait trop mal, j’ai pressé dessus, et c’est sorti !
;-) 

Euskobizia : Te sens-tu libéré aujourd’hui ?
EHB : Oui et non. On met généralement du temps à se relever d’un harcèlement moral (n’ayons pas peur des mots) qui est allé aussi loin.
Mais bon… Je te dirais ça si j’en vend des millions d’exemplaires et que la critique est unanimement excellente !
;-) 

Euskobizia : Ton livre est une autobiographie, tout est vrai, sauf les noms de lieux et des personnages ? Pourquoi ?
EHB : C’est plus une tranche de vie qu’une autobiographie. Je suis encore trop jeune et inexpérimenté pour écrire mes mémoires !
Oui, tout est vrai. Du moins de mon point de vue entièrement subjectif. Je suis persuadé que les protagonistes de l’histoire ne verront pas les choses de ma façon. A leurs yeux, je passerai sans doute pour un sale petit ingrat et frustré, un calomniateur, voire un malade mental. Mais j’ai pléthore de témoins qui confirment les impressions que j’ai eues…
Et puis le livre de Marie-France Hirigoyen «Le Harcèlement moral: la violence perverse au quotidien» explique bien le processus et les techniques des harceleurs. Je le conseille à tous ceux qui souffrent de la cruauté des autres au boulot ! Bref, c’est pour ça que j’ai changé les noms des personnages et les noms de lieux.

Euskobizia : Tu es dessinateur aussi. Ton livre est complet en fonction de tes divers talents. Ne crains-tu pas que les personnages qui sont si ressemblants, se reconnaissent ?
EHB : Fatalement, ils se reconnaîtront. Mais j’ai été confronté à un choix difficile. Garder ces dessins, qui ne sont qu’une extrapolation caricaturale, une vision déformée du personnage réel (vision qui n’appartient qu’à moi), ou ne pas les publier. J’ai choisi (avec l’assentiment de l’éditeur, après avoir consulté des avocats, un juge, et un conciliateur de justice) de les publier parce que ce ne sont que des caricatures, justement.
Et puis franchement, j’ai tout fait pour brouiller les pistes. Ce serait bien le diable si le personnage principal assumait au grand jour qu’il m’a esclavagisé, harcelé, embauché « au noir »… Je crois qu’il peut se passer de la contre-pub supplémentaire occasionnée par un procès retentissant!

Euskobizia : Avais-tu déjà pensé écrire un livre lors des ces deux stages de berger, traitant de cette affaire ? Et/ou quand cette idée t’est-elle venue à l’esprit ?
EHB : Non, je n’avais pas l’intention d’écrire quoi que ce soit. A l’époque, je voulais juste être berger dans les Pyrénées, et je ne savais même pas que j’avais des dispositions pour l’écriture. J’ai compris ça bien plus tard, lorsque je suis devenu correspondant local de presse pour Sud-Ouest, en octobre 2001. Et encore, si ma femme ne m’avait pas poussée à postuler, je ne le saurais peut-être pas encore aujourd’hui !

Euskobizia : Lorsque tu interviewes des personnes et que tu rédiges, un article, sens-tu plus en toi l’âme d’un « journaliste » ou celle d’un écrivain ?
EHB : Bonne question. Très judicieuse, surtout à l’heure où je viens de démissionner du poste de correspondant local de presse pour Sud-Ouest Béarn et Soule, que j’occupais depuis 2001 ! Je crois –en mon fort intérieur-, que je construis généralement mes écrits comme des articles. Plus précisément comme des dissertations ! Avec introduction, développement (thèse, antithèse, synthèse), et conclusion. Je ne suis pas vraiment un écrivain. Mais on peut raisonnablement dire que j’aspire à le devenir, comme ça, en dilettante !
;-) 

Euskobizia : As-tu envie de poursuivre dans l’écriture d’un autre récit ou autres ? Ou bien, est ce le premier et le dernier ?
EHB : Ma foi, puisque tu poses la question… Je crois qu’il fallait que je sorte ce « Mauvais berger ! » avant de me lancer dans la rédaction d’un autre bouquin moins personnel. Ce livre, c’est aussi pour me prouver que je pouvais le faire, et que je pourrai le refaire !
J’ai déjà quelques idées pour un prochain truc, mais je vais laisser un peu ma bécane pour quelques temps, dont le clavier a pas mal chauffé ces derniers mois !

Euskobizia : Pourquoi avoir souhaité être berger ? Etait-ce une vocation ? Quand ? Pourquoi ? Comment ?
EHB : J’en parlais déjà en classe de terminale. Je disais à qui voulait l’entendre que « je ferais mieux d’aller élever des chèvres dans les Pyrénées plutôt que d’user mes fonds de culotte pour rien sur les bancs du lycée ». C’était sur le ton de la boutade à l’époque ; ma façon à moi de me rebeller contre le système.
Et puis en 1997 -j’étais alors agent de sécurité à Bordeaux- j’en ai eu assez de la ville. Elle me sortait par toutes les pores de la peau. Les embouteillages, les klaxons, les feux rouges, le stress… Je ne pouvais plus, et ma femme non plus. Lorsqu’on avait des vacances, on partait souvent randonner en Ariège, où nous avons des amis. C’est là que j’ai rencontré le vieux Miguel. Il gardait des centaines de brebis (à viande) sur les pentes du pic de la Calabasse. J’ai trouvé qu’il avait la belle vie, et je me voyais bien prendre sa suite là bas, à jouer du pipeau allongé sous un sapin, les doigts de pieds en éventail, avec l’ours en toile de fond… Un joli rêve, en vérité !
En bon fainéant (qui s’assume), je me suis dit que c’était le métier qu’il me fallait !
Alors grâce à l’ANPE, j’ai trouvé une formation de berger rémunérée sur Menditte, j’ai démissionné, et je me suis retrouvé en Soule, avec ma femme, ma deudeuche immatriculée en 33, et mes meuble en formica ! ça a beaucoup surpris mes parents, mais ils ont fini par s’y faire…
J’ai donc fait mon Brevet Professionnel Agricole, option ovins-lait (BPO), puis mon Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole (BPREA). Comme il fallait que je fasse un stage de 6 mois pour pouvoir prétendre à la dotation jeune agriculteur (qui m’aurait permis de m’installer à mon compte), je me suis mis en quête d’un maître de stage.
Et là, le réveil a été rude. Surtout lors de la deuxième saison, à dire vrai ! C’est ce milieu agricole « très dur » que je raconte dans « Mauvais berger ! »

Euskobizia : Dans la souffrance du deuxième stage, pourquoi n’avoir pas laissé tomber cette affaire ? Perfectionniste persévérant ou masochiste ? Pourquoi n’avoir pas envisagé un stage chez un autre employeur ?
EHB : Tout simplement parce que j’y croyais vraiment. J’étais persuadé que je pourrais y arriver, si je supportais ces privations, ces remontrances, ce harcèlement au quotidien. C’était un peu comme une expérience initiatique. Un genre de test que je me devais de passer !
A un moment donné, vers le 15 août 1999, j’ai failli tout plaquer pour rejoindre ma femme à Mauléon (C’est plus ou moins écrit en filigranes dans le texte, mais c’est vrai que je ne me suis pas attardé là dessus).
Mais je me suis dit que si je laissais tomber, cela attiserait la thèse que j’ai entendue pendant toute ma scolarité, et qui atteste grosso-merdo que « je ne finis jamais ce que je commence ». Merci les profs, dont le métier reste –encore aujourd’hui- de mouler de « bons petits citoyens modèles » standardisés !
Alors je suis resté, par fierté. J’ai décidé d’affronter la vie, et non de fuir en avant, une fois de plus. Je crois que c’est là, à 28 ans, que je suis devenu un homme. Il était temps, non ?

Euskobizia : Les dessins très bien faits… Ta passion pour le dessin ? Depuis quand, comment ? Et as-tu des idoles dans le dessin qui t’inspirent.
EHB : Merci pour les compliments, vil flatteur!
Plus sérieusement, je suis un grand fan de Marcel Gotlib. C’est à cause de lui si je fais des petits dessins aujourd’hui. Curieusement, je ne sais pas si son influence se ressent dans mes gribouillis… En tout cas, je suis très loin d’avoir son talent ! Sinon, mon enfance, adolescence et adulescence ont été bercées par Goldorak, les comics de Marvel, Fluide Glacial, et… Alix !
J’ai commencé à prendre plaisir à dessiner en 5ième, je crois… Mais j’étais une vraie brelle ! J’ai persévéré, je me suis entraîné pendant des années. Essentiellement parce que mon père avait un joli coup de crayon, et que je voulais qu’on dise ça de moi (Mon père a écrit pas mal de pièces de théâtre, aussi ! Mais je me vois mal l’imiter sur ce plan là !).
En fait, je dessine tous les jours. Parfois dans l’intention de produire quelque chose de particulier, ou sur commande, parfois parce que ça me détend de tenir le crayon et de tracer des lignes. Depuis que j’ai appris à utiliser les logiciels de PAO, je prends vraiment mon pied à créer des trucs, colorier, retravailler et incrémenter dessins et photos…

Euskobizia : Ton livre fait référence, au cinéma, essentiellement à « la guerre des étoiles ». Pourquoi ? Tu dis en tout cas, qu’il n’y aura pas 3 autres épisodes. Que peux-tu me dire de plus ?
EHB : C’est certainement parce que depuis l’âge de 6 ans, je suis un grand fan de la saga « Star Wars », comme beaucoup de gens de ma génération. D’ailleurs, je crois que j’ai transmis le virus à mes enfants !
Mais en réalité, c’est parce que j’ai trouvé une similitude avec le découpage très « cinématographique » en épisodes du livre. C’est un assemblage de plans très courts et bruts de décoffrage, de flashbacks, de travellings liés par une trame historique qui constitue le fil conducteur… Alors on est très loin de Tarantino, ou même de Lucas, mais ça m’a fait un peu cet effet là, à la relecture !
Et puis encore une fois, les titres me sont apparus comme une évidence… Je n’ai pas eu à me creuser beaucoup la cervelle !
Il y a d’autres clins d’oeils, qui font par exemple référence au dessin animé « Astérix et Cléopâtre », ou au film « the Shining », de Stanley Kubrick, avec Jack Nicholson…
Pourquoi pas d’autres épisodes ? Parce que je pense que j’ai épuisé le sujet, et qu’aujourd’hui, je peux affirmer que je ne serai JAMAIS berger !

Euskobizia : Le lecteur est tout acquis à ta cause, compte tenu de la manière dont tu as élaboré le récit, et on sait que tu es le bon berger, à quels moments règles-tu tes comptes avec toi-même ?
EHB : Tout le temps ! Ce livre est une remise en question permanente. Je règle des comptes avec ma paresse légendaire, avec mes certitudes et mes illusions, avec ma (mes) vocation(s) inachevées, avec la vie en général. C’est un peu une excroissance de mon mode de fonctionnement habituel, car quoi que je fasse en ce bas monde, je passe mon temps à me remettre en question. C’est une forme de résistance à mon égoïsme typiquement masculin, pour ne pas dire humain.
C’est épuisant, et ça demande une somme phénoménale d’énergie. C’est sans doute pour ça que beaucoup ne s’y risquent pas !
;-) 

Feu “Euskobizia” était (de décembre 2004 à avril 2009) le webdo des basques d’ici et d’ailleurs (www.euskobizia.com).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire